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fiction

Un blondinet qui se démène

En juillet 1967, Claude François joue au Théâtre de Verdure du parc La Grange. « Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il n’y a rien dans cette débauche d’énergie », écrit le Journal de Genève… « Pour le soussigné, Claude François revêtait l’attrait de l’inédit; certes on m’en avait beaucoup parlé. Jugé de visu le personnage n’est pas aussi catastrophique que l’affirmaient ses détracteurs prévenants; ni aussi enthousiasmant que le vantaient ses admirateurs trop indulgents. Un blondinet qui se démène comme un coureur de demi-fond, qui cherche à crier pour surpasser la coalition de ses cuivres et de sa percussion, et qui, pour les danses endiablées tient aisément le rythme que lui imposent ses quatre «Claudettes». Il y a de l’espace dans le parc La Grange; ces exercices athlétiques sur la corde vocale tendue à l’extrême ne dérangent pas les voisins; ils ravissent les proches. Personne n’a lieu de se plaindre. » Source: A. R., « Claude François et ses yé-yé », Journal de Genève, 13.07.1967 => Cliquez ici pour lire l’article en ligne sur le site www.letempsarchives.ch

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Faux meurtre au pied d’un conifère

Passablement prolifique et complètement oublié, l’auteur genevois de polars François Fosca empilait, en 1943, cinq cadavres entre Carouge et le village imaginaire de Dorbigny… Un après-midi de juin au milieu des années 1930, alors que “le soleil brillait et brûlait, mais de lourds nuages violacés faisaient prévoir un orage imminent”, un coup de feu retentit dans un bosquet du parc La Grange. Les dénommés Ernest Desboilluz et Alfred Susillard, deux retraités qui bavardent assis “sur leur banc favori, à l’ombre d’arbres épais, non loin de l’orangerie et des serres du parc” sursautent en entendant l’explosion, suivie de l’apparition d’une femme qui s’enfuit “vers le fond du parc”. Les deux hommes se lèvent et s’empressent de rejoindre le lieu de la détonation. “Lorsqu’ils arrivèrent tout près du bosquet, un épais massif de buis et de houx d’où se dressaient des conifères, ils entrevirent, à travers les feuillages, le corps d’un homme étendu sur le sol. Après un premier moment de stupeur, ils se frayèrent un chemin et se penchèrent. C’était un jeune homme d’une trentaine d’années, blond, vêtu d’un veston roux et d’un pantalon de flanelle grise. D’une affreuse blessure, qui lui défigurait !e visage, le sang coulait”. On tombe ainsi sur le deuxième cadavre d’une histoire qui en compte cinq, répartis entre Carouge, le parc La Grange et le village genevois de Dorbigny, localité imaginaire où se déroule le roman Du côté de chez Fyt, publié en 48 épisodes par le Journal de Genève en 1943. L’intrigue, qui se noue dans la verdure genevoise mais qui a des racines à Seattle, Shanghai, Londres et Amsterdam, inclut des meurtres et des suicides, une main coupée et des tabatières remplies de cocaïne, une idylle amoureuse et un tableau de Rembrandt où il manque une tête que quelqu’un a découpée. L’inspecteur Faget et le peintre Belpèras mènent l’enquête… L’auteur s’appelle Georges de Traz, mais il signe ses romans du pseudonyme “François Fosca” (ou “Peter Coram” lorsque son éditeur estime qu’il vaut mieux passer pour un Anglais). Né en 1881 et mort quasi centenaire en 1980, il publie plusieurs dizaines d’ouvrages d’histoire de l’art, une Histoire et technique du roman policier en 1937, ainsi qu’“une oeuvre romanesque qui est malheureusement complètement oubliée, puisque ses romans n’ont jamais été réédités et qu’ils ne sont jamais cités”, signale François Ouellet, professeur de littérature à l’Université du Québec à Chicoutimi et spécialiste des écrivain-e-s méconnu-e-s. À côté de sa parution en roman-feuilleton, Du côté de chez Fyt n’est publié en effet qu’une seule fois, en 1943 aux Éditions Utiles, maison genevoise spécialisée dans le policier. => On peut lire les 48 épisodes du roman sur le site www.letempsarchives.ch, qui met en ligne l’intégralité des archives du Journal de Genève, de la Gazette de Lausanne et du Nouveau Quotidien. Tapez « du côté de chez fyt » dans la case de recherche et choisissez l’option « Date (asc) » dans le menu déroulant « Trier par » en haut à droite. Ou alors cliquez ici=> Vous pouvez également emprunter le roman à la Bibliothèque de Genève (BGE).

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Les Bastions, c’est le jour et la nuit

Une plongée dans l’imaginaire romanesque et dans les sous-bois historiques du parc des Bastions… Je m’excuse de le dire comme ça, de but en blanc, mais les Bastions, dans les romans, ça sent le sexe. Dans la plupart des fictions qui mentionnent ce parc, qu’elles soient genevoises, américaines ou finlandaises le fait de le traverser fait quasiment office de préliminaires. Bon. Après cet effet d’annonce, après avoir tiré sur cette grosse ficelle, et avant d’en venir au curriculum érotique des Bastions dans la littérature mondiale nous commencerons toutefois par vous parler d’autre chose. Posons, vite fait, ce que l’on sait de source sûre. Bastions, ce sont d’abord des bastions, c’est-à-dire, dans un système de fortifications – et nous citons ici un dictionnaire quelconque – des «ouvrages faisant partie de l’enceinte défensive, faits d’un gros amas de terre soutenu de murailles». Il y en a deux rangées, l’une intérieure, bâtie à l’époque de la Réforme, c’est-à-dire au 16e siècle, au pied de la vieille ville, l’autre extérieure, bâtie au 17e siècle, vers le côté où se tapit aujourd’hui, depuis des temps immémoriaux, cet envahisseur redoutable, le Starbucks Café. Après, Bastions, c’est une promenade, appelée, justement, Promenade des Bastions, créée en 1727, avec une allée cavalière pour se promener en chevaux. Après, Bastions, c’est un théâtre, appelé, justement, Théâtre des Bastions, ouvert en 1782. Ça n’a l’air de rien, ouvrir un théâtre en 1782, mais c’est énorme, parce que depuis deux siècles et demi, c’est-à-dire depuis la Réforme, en 1536, le théâtre était strictement interdità Genève. Et là, pouf!interdit levé. Sauf que, manque de bol, comme on l’apprend dans le livreLa vie musicale au Grand théâtre de Genève entre 1879 et 1918 de Richard Cole, «Quand les autorités municipales autorisent la construction d’un théâtre dans le parc des Bastions en 1782, la majorité de la population locale n’y a pas accès, car la nouvelle salle est destinée en priorité aux actionnaires qui la financent, et aux troupes étrangères stationnées à Genève à l’époque.» Voilà. Les troupes, ce sont les soldats français, savoyards et bernois rameutés à l’instigation du roi de France Louis XVIe pour mater la révolution qui a eu lieu à Genève l’année d’avant. C’est ainsi que le 2 juillet 1782, l’aristocratie genevoise est remise au pouvoir par tous ces soldats, les révolutionnaires sont banni-e-s et un théâtre est construit à la demande des troupes françaises d’occupation qui, elles, n’ont pas l’interdiction divined’aller aux spectacles. Le théâtre est bâti près de l’entrée du parc, sur la gauche, là où l’on voit aujourd’hui, plus modestement, les tables de ping-pong et les jeux d’échecs. Après, Bastions, c’est un Jardin botanique, créé par le savant Augustin Pyramus de Candolle en 1817, avec une serre qu’on appelle une orangerie, et plus tard des daims dans un enclos.Et on ne le dit pas souvent, en fait on ne le dit presque jamais, mais tout botanique qu’il soit, ce jardin-là sert avant tout à manger, parce qu’on pense alors que la science végétale doit se mettre au service de l’agriculture, et surtout parce que Genève subit une disette en 1816 et 1817, c’est-à-dire pas tout à fait une famine mais presque: les gens n’ont pas assez à manger. Dans les Bastions botaniques d’Augustin Pyramus, ce sont donc des patates qui poussent. Après, la faim passée, on remplume le jardin d’une luxuriante végétation en 1871, on bâtit l’université en 1873,on installe des grilles et des portes monumentales en 1875,on ajoute des aigles en bronze en 1885. Après, on détruit l’orangerie pour poser le monument, le Mur, quoi,inauguré en 1917.Monument créé par un sculpteur français du nom de Paul Landowski, qui se fera remarquer une quinzaine d’années plus tard, en 1931, en créant le Christ géant de Rio de Janeiro.Monument, relevons-le aussi, que l’écrivain tessinois Andrea Fazioli décrit ainsi dans son polar La sparizione («La disparition »), publié en 2010: «Quatre grosses têtes en pierre, encrassées par les oiseaux et ignorées de tous.» Ajoutons encore qu’avant, bien avant, au dessous, bien en dessous, court une vaste nappe phréatique provenant de la région d’Etrembières. Avec tout ça, on peut dire, le décor est posé Mais dans ce décor, que s’y passe-t-il? Ça dépend des époques, évidemment, mais aussi des heures. Dans une brève étude intitulée«Le territoire, la territorialité et la nuit», parue dans la revue Actualités psychiatriquesen 1988, le géographe genevois Claude Raffestin écrit ce qui suit: «Dès la tombée de la nuit et pendant deux heures environ, seule subsiste la fonction de passage du parc, sauf pendant les longues soirées d’été. Malgré un système d’éclairage, de nombreuses zones demeurent dans l’obscurité et le déchiffrement du territoire devient difficile, voire impossible. Le système de limites vécu de jour comme une sécurité est vécu de nuit comme un danger, car il isole des rues avoisinantes. Telle zone avec des bosquets qui, de jour, apparaissait comme un refuge, apparaît de nuit comme une source de dangers potentiels. Les repères, e accent grave, deviennent des repaires, ai, c’est-à-dire des lieux où l’on peut se cacher, des lieux d’où peuvent bondir des agresseurs. En somme, la nuit inverse la lecture du territoire: la paix diurne devient le danger nocturne. Le regard devient un médiateur moins efficace que l’ouïe. Celle-ci se substitue à la vue dans une large mesure. Alors que le paysage sonore est à peine pris en compte de jour, il devient source d’information prépondérante la nuit. Les distances sont appréciées et estimées à partir des bruits. Les passages se font d’îles de lumière en île de lumière. A l’inverse, les îles d’ombre ne sont pas désertes et il s’y déroule une territorialité tout à fait spécifique: celle des homosexuels. Aux distributions aléatoires diurnes se substituent des distributions déterministes nocturnes: « passage » dans les zones de lumière et « relations homosexuelles » dans les zones d’ombre.» Fin de citation. Le parc des Bastions et le parc des Bastions, pourrait-on dire, c’est le jour et la nuit.Même si, depuis lors, cette fonction socio-sexuelle du parc nocturne s’est déplacée vers d’autres espaces verts qu’évoque par exemple un quinquagénaire […]

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Eaux-Vives – Un luna-park oublié sous un parc

Une plongée dans l’imaginaire romanesque et dans les sous-bois historiques (et préhistoriques) du parc des Eaux-Vives… Au commencement, il y a une courbe.Une courbe que les spécialistes appellent la courbe de 425 mètres.425 mètres, c’est 50 mètres de plus que l’altitude du lac Léman, qui est de 372 mètres au-dessus du niveau de la mer. Au-dessus de cette courbe s’étend,avec ses plaines et ses collines, ce qu’on appelle le plateau genevoisAu-dessous de cette courbe s’étend ce que les géographes appellent un système de terrasses. Ce sont des terrasses alluvionnaires,c’est-à-dire créées par l’entassement des matières disparates transportées par l’eau et laissées là, au bord du chemin. Les terrasses bordent le lac et les cours d’eau.Il y en a trois.Les plus élevées sont formées de matériaux que les spécialistes appellent «matériaux grossiers»(ce n’est pas un jugement de leur part, juste un constat)ou encore «cailloutis». Au-dessous de la limite des cailloutis,entre les 372 mètres du lac et la courbe de 425 mètres,on trouve, parmi les trois terrasses,une terrasse dite «de 10 mètres» ou «terrasse moyenne»,qui grouille,lorsqu’on la fouille avec les outils appropriés,d’une faune lacustre fossile:des poissons minéralisés datant du Magdalénien(entre 17’000 et 12’000 ans avant notre ère), laissés là, au bord du chemin, encore une fois, par le glacier du coin qui se retirait. Tout cela pour vous dire que cette faune lacustre a été retrouvée au parc des Eaux-Vives,qui n’est donc pas né d’hier. C’est un parc qui en a vu d’autres. Au commencement, il y a une courbe, une courbe et un seuil, un seuil dit «molassique»,c’est-à-dire marqué dans la molasse,dans la roche sédimentaire,formée de sédiments,c’est-à-dire de chenil, si on peut se permettre,qui s’amasseet qui s’encroute. Le seuil molassique dont on vous parleest immergé.C’est un haut-fond,que les géographes appellent «banc de Travers».Le banc de Traversmarque le passage du lac au Rhône,traversant la Rade de Genève de part en part, entre Sécheron et le parc des Eaux-Vives. Récapitulons:au commencement de la vie connue,documentée, du parc des Eaux-Vives, il y a une courbe, une terrasse fréquentée par des poissons fossiles, et un banc de Travers immergé. C’est ce que nous avons trouvé en quelques heures de navigation numérique dans les histoires du parc des Eaux-Vives. Ensuite, le temps passe,pas aussi vite qu’aujourd’hui,mais il passe quand même.Tout à coup, on se réveille un matin, et c’est l’âge du bronze, qui va durer, grosso modo, de l’an –3’000 à l’an –1’000. Ce passé-là a laissé des restes dans le parc des Eaux-Vives,pour le plus grand bonheur des archéologuesqui trouveront, en creusant bien, les ruines d’une fonderie,des bijoux, des pots cassés,des entassement d’os d’animaux indiquant l’emplacement des abattoirs de l’époqueet des filets de pêche. Ensuite,après l’époque du banc de Travers,et après l’époque des pots cassés de l’âge du bronze,il y a à nouveau un grand trou. Le parc des Eaux-Vives refait surface, re-laisse des traces,redonne des signes de vie dans les eaux numériques où nous partons à la pêche de ces infos, à partir du 16e siècle, lorsqu’une famille appelé Plongeon en fait son domaine. Les Plongeons ne durent pas:la famille s’éteint, comme cela arrive parfois, deux siècles plus tard, mais son nom reste accroché aux lieux.Aujourd’hui encore, le chemin de Plonjon, avec un J, longe le parcsur son côté nord-est. Le domaine passe ensuite de main en main, appartenant – vous excuserez le name dropping –à des Tournos,Tremblay, Bouer, Horneca, Archer, Senn, Grévedon-Bousquet, Favre, puis, en 1897, à la Société de l’industrie des hôtels, présidée par le dénommé Henri Galopin, qui rebaptise officiellement le domaine Plongeon «parc des Eaux-Vives» et qui transforme le domaine en un lieu public où – nous citons – «les étrangers et la population genevoise pourront trouver en plein air et au milieu d’une splendide naturede saines distractions». M. Galopin insiste là-dessus en s’adressant à la presse: «ce parc – dit-il – sera un lieu de délassement d’où seront exclues toutes attractions qui ne seraient pas saines». Ce qui soulève tout naturellement cette question:Qu’est-ce qu’une «distraction saine» dans la Genève de 1897? Le Journal de Genève apporte quelques précisions le 13 mai de cette année-là. La liste des propositions à la fois distrayantes et sainescomprend un étang de patinageune piste vélocipédiqueun jardin alpin rempli de rhododendrons, sans oublier que –nous citons – «au milieu des rocailles prend naissance un ruisseau à l’eau claire et limpide, ruisseau que l’on traverse sur des ponts rustiques et qui s’écoule en de capricieux lacets traversant des bosquets ombreux pour aller former un petit étang où les amateurs pourront se livrer aux plaisirs de la pêche à la truite». Avec tout ça, assure le journal, on obtiendra – nous citons à nouveau – «un lieu de distraction et d’agrément qui montrera qu’à Genève on ne s’ennuie pas, comme certains l’ont prétendu». Mouais. Quoi qu’il en soit,le temps passe, et au fil de ce temps, l’éventail des «saines distraction» s’élargit, incluant des choses qui, aujourd’hui, ne peuvent que nous interpeller. Par exemple L’Afrique Mystérieuse, en 1911. L’Afrique Mystérieuse, c’est «une troupe d’une centaine d’hommes, de femmes et d’enfants, qui constitueront un village africain», écrit la presse. C’est – nous citons encore – «un village sénégalais avec sa mosquée, son école, ses principales industries, ses moeurs, cent indigènes». Tout ce monde est offert au regard du public genevois, dans un dispositif assez courant à cette époque, un dispositif que les historiennes et les historiens appellent aujourd’hui un «zoo humain». Ces «zoos humains», écrit la presse, contribuent à ce que «la plupart des attractions du Luna-Park relèvent du domaine scientifique et ce ne sera pas un champ de foire». Au fil de ces mois de mai et juin 1911, premiers mois d’ouverture du luna-park,la presse suit cette Afrique Mystérieuse de près. «Succès pour le village nègre, qui vient de procéder à un pittoresque baptême», écrit le Journal de Genève le 4 juin, commentant ce spectacle sain, scientifique et colonial montré dans un pays qui pourtant n’a pas de colonies. On pourrait continuer comme ça pendant des heures à barboter dans les compte-rendus des activités étranges, du moins à nos […]

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Parc Bertrand – Clichés, potences et toboggans

Une plongée dans l’imaginaire romanesque du parc Bertrand… Je vais peut-être resterprudent-e. Prudent-eavant de formuler un jugement hâtifque je pourrais regretter,maisà première vue,contrairement aux deux parcsque nous avons déjà traversésavec ces récits –le parc La Grangeet celui de l’Ariana –ce parc-ci,Bertrand,est facile à comprendre,facile à expliquer. Pas de grand mystère,pas de Celtes Allobrogesqui plantaient des menhirs,pas de mystiques nazisqui contemplaient les lieux avec les yeux en coeurparce quesoi-disantdans «Ariana»il y a «aryen». Rien de tout cela,rien qu’un Alfred,pour commencer.Car il faut savoir queBertrandétait en fait le nom d’Alfred,Alfred Bertrand,dont nous allons commencer par lire la notice Wikipédia,après nous être rapidement dépêtré-e-s d’une homonymie,Alfred Bertrand (1913-1986), homme politique belge – pas lui,Alfred Bertrand (né en 1919), joueur de football belge – pas lui non plus,Alfred Bertrand (1856-1924), géographe et photographe suisse – bingo. «Protestant convaincu, sportif, Bertrand réalise de très nombreux voyages à travers le monde (Himalaya, Cachemire, Malaisie, Chine, etc.), d’où il ramène une importante collection de photographies de monuments, paysages, ou ethnographiques.» C’est ce que dit Wikipédia,sans diretoutefoisen vertu de quelle fortunece monsieur avait un parc. Le site Web de l’Etat de Genèveappuie avec fougue,si l’on peut dire,sur le clou religieux: «Alfred Bertrand eut dès sa jeunesse la passion des voyages et participa à plusieurs expéditions au Cachemire, à l’Himalaya et surtout au Zambèze où il s’enthousiasma pour l’œuvre des missionnaires protestants qu’il aida ensuite de toutes ses forces.» Si l’on googlise Alfredencorependant quelques instants,on tombe vite sur un article daté 31 mai 2013où la journaliste Caroline Stevan,spécialiste de la photo au journal Le Tempsrègle son compte au grand hommeen deux lignes de chapeau. «Fortuné, Alfred Bertrand s’est rêvé en explorateur du globe. Convaincu de la supériorité des blancs et de la religion protestante, il est représentatif d’un racisme ordinaire à son époque.» Le parc Bertrand exposait alors,en 2013,les photos de Bertranddans une exposition en plein air appelée«Clichés exotiques, le tour du monde en photographie».Reprenons l’article. «Le propos? «Raconter comment l’Europe de la fin du XIXe siècle considérait le reste de la planète, note Lionel Gauthier, du Département de géographie de l’Université de Genève, l’un des commissaires. C’est un moment clé de notre rapport à l’autre et à l’ailleurs. Ces premières images, perçues comme la réalité, sont devenues nos références visuelles, cristallisant nombre de clichés qui perdurent aujourd’hui encore.» Entre les arbres du parc, ainsi, se dessine un monde peuplé de femmes voilées ou dénudées, d’hommes hirsutes, de sauvages bons ou mauvais qu’il faudrait civiliser.Ces photographies servent, consciemment ou non, des desseins assez peu reluisants. Les bienfaits, ou la nécessité, de la colonisation comme de l’évangélisation, sont mis en avant par des portraits d’indigènes débraillés et de convertis élégants, par des images d’infrastructures occidentales en pleine brousse. La barbarie de l’étranger est mise en scène: Chinoises aux petits pieds, épisodes prétendument cannibales. La supériorité de l’Europe est invariablement citée. Des typologies d’êtres humains rappellent que l’existence de races inégales est alors bien ancrée dans les consciences.Très souvent, les clichés résultent de mises en scène. Les protagonistes sont photographiés en studio, avec accessoires et décors peints. Des parties de chasse, de repas familiaux ou de justice expéditive sont reconstituées. Dans un autre genre, beaucoup de femmes sont représentées nues; parfois des prostituées payées pour cela. «Sous prétexte anthropologique, on réalisait des images érotiques. La petite tenue des modèles était justifiée par le climat du pays, leurs mœurs légères ou la nécessité de les mettre nues pour des mesures scientifiques.» C’était donc cela,la vie à la Bertrand. Mais à part ces idéeset ces clichésque Bertrand propagea,«pour le reste, on ne sait pas grand-chose; les archives personnelles ont disparu». On sait malgré tout qu’Alfred décèdeen 1924laissant une veuveque les sites Web des institutions genevoises appellent encore«Madame Alfred»suivant l’épouvantable convenance de son époque à lui,à Bertrand,mais qui en fait avait bien un prénom,Alice,un nom,Noerbel,et une profession,dirigeante de l’Union chrétienne de jeunes filles,qui était l’équivalent françaiset fémininde ce qu’on appelle dans le monde anglophoneYMCA.Et on a le droit d’être ravi-e-s en constatant,Wikipédia à l’appui,qu’Alice a une notice,comme Alfred,mais trois ou quatre fois plus longue que lui.Bref:Alice lègue le parc à la Villeen deux étapes,1933 et 1940,avec la maison de maîtrequi deviendra l’école que l’on connaît. Bon. Elargissons le champ,explorons un peuà la Bertrand,prenons des clichésde la vie indigène. Autour d’Alfred,voici Champel,un quartier qui n’est pas n’importe lequel.En quelques clics sur le réseau,on atteint le mémoire de master d’une étudiante en développement territorial,Oriane Montfort,intitulé L’expérience sensible et quotidienne du parc urbain. Quatre parcs genevois parcourus, vécus, écoutés, photographiés, racontés et comparés: Bertrand, Beaulieu, Délices et Gourgas.Oriane commence par présenteren quelques phrasesle quartier de Champel: «Proche de l’hypercentre, il est principalement composé de grands immeubles aux appartements luxueux et de villas. Ce dernier, malgré la construction de nombreux HLM depuis les années 60, est caractérisé par une population résidentielle plutôt aisée. Autrefois quartier maudit où l’on exécutait les condamnés à mort, il accueille les villas de riches familles dès la fin du XVIIIe siècle. Il s’agit d’un quartier plutôt calme, avec relativement peu de commerces et de bistrots, qui aujourd’hui est en pleine mutation, en raison de l’arrivée prochaine de la gare du CEVA. Cette nouvelle ligne de transport public sera desservie par la halte «Champel-Hôpital», l’un des cinq nouveaux arrêts, qui se situera sous le plateau.» Minute.On s’arrête un instantpour se rassurersur cette affaire dequartier maudit.Avant de venir vers vousavec ce texte,la question épineuse des condamné-e-s à mort exécuté-e-s à Champela été soigneusement,frénétiquement googlisée,nous amenant à la découverte,réconfortante et perturbante,que oui,«au Moyen Âge Champel était une région sauvage où se trouvaient les fourches patibulaires et lieux d’exécutions»,mais non,ce lieu,qu’on appelait«fourches de Champel»ou «gibet de Champel»,ce n’était pas dans le parc où nous nous trouvons,c’était vers l’actuelle clinique de la Colline.D’ailleurs,non loin de là,court aujourd’hui une rue appelée«chemin Malombré»,dont le nom,selon une rumeur rapportée par le site notrehistoire.ch, «se réfère au fait que jusqu’en 1750, c’est tout près de là, au lieu dit « Les fourches de Champel », qu’étaient exécutés les condamnés à mort. L’ombre des pendus se projetant au soleil couchant sur le chemin tout proche, […]

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Parc la Grange – Un lieu de rencontres secrètes

Une plongée dans l’imaginaire romanesque du parc La Grange… Aussi longtemps qu’on s’en souvienne,ce parc a été un parc.Un lieu de culte et de culture,dans tous les sens du terme,un lieu où on fait pousser des choses. Les Allobroges, qui étaient les Celtes du coin, faisaient pousser des mégalithes, c’est-à-dire des menhirs.Les Romains du coin, qui étaient en fait des Allobroges devenus romains, faisaient pousser des restes romains,qui avant d’être des restesétaient une villa romaineun peu clinquante,un peu tapageuse,un signe extérieur de richesse.Jésusen 1444fait pousser des poissonsdans le célèbre tableau «La pêche miraculeuse», du peintre Konrad Witz,qui transpose le miracle biblique quelque part au large du parc La Grange.(On peut voir ce tableau au Musée d’art et d’histoire:c’est la plus ancienne image de ce lieuet c’est la plus ancienne représentation réaliste d’un paysagedans l’histoire de la peinture européenne.) On continue. Un certain nombre de membres de la famille Lullinfont pousser un jardin et une villa.Un certain Favre fait pousser une bibliothèque,qu’il remplit de 15’000 livres, à côté de la villa.Un autre Favre fait pousser un alpineum,c’est-à-dire un paysage alpin en toc,mais très bien imité,prenant pour modèle un marécage situé à Faverges, sur le Salève. La Ville de Genève prend possession des lieux en 1918,légués par un petit dernier Favre.Elle fait pousser au cours du siècle qui s’ensuitdes roses,des tortues,des saules pleureurs,des canards,un théâtre,des concerts,une bibliothèque ambulante. Ce parc est un parc, donc.Mais encore?Quel est ce lieu,quelle est la nature de cet endroit?Pour répondre,comme nous sommes ici sur le site Internet d’un réseau de bibliothèques,nous avons parcouru des textes.Le premier dit à peu près ça(on dit «à peu près»parce qu’on l’a fait traduire de l’allemand par Google Translate,en le retouchant juste un petit peu): «Il franchit une haute porte en fer forgé pour entrer dans le parc, encore désert à cette heure matinale. En un gigantesque octogone, découpé en secteurs comme les tranches d’une tarte, poussaient des milliers de roses. Au-delà, Philip aperçut la bâtisse blanche. Appuyé contre la rambarde se tenait Donald Ratoff, gros et court sur pattes, à côté d’un homme grand et mince. Ratoff agita la main. Philip fit un signe en retour. Qui était le deuxième homme? Ratoff ne l’avait pas mentionné. À travers le lit de roses, Philip s’approcha de la maison. «Salut», dit Ratoff, alors que Philip s’avançait vers les deux hommes. Il tendit une main molle et moite, qui se logea dans celle de Philip sans exercer la moindre pression. «Heureux que tu sois venu si vite.» Il présenta le deuxième homme, qui était vêtu d’un costume beige d’été. «M. Günter Parker, commissaire principal, chef de la Commission spéciale 12 juillet.» «Ravi de faire votre connaissance», déclara Parker. Sa poignée de main était ferme. Il avait un visage mince et bronzé, des cheveux blonds coupés court, des sourcils blonds et touffus et des yeux brillants. Commissaire principal – pensa Philip – et pourtant si jeune. Il paraissait étrangement sérieux et triste. Philip se sentit soudain très vieux. Le gros Ratoff, qui affichait une bouche tordue et un crâne sur lequel on ne trouvait pas un cheveu, dit: «Vous savez ce qui s’est passé à Berlin.» «À Berlin?» «Hier après-midi à Spandau. Aux United Remedies. C’est alors que…» «Oh, bien sûr!» Soudain, Philip se souvint de ce qu’il avait vu et entendu sur la chaîne ZDF, juste avant que Simone ne vienne à son appartement. «Un nuage de chlore gazeux s’est échappé d’une chaudière industrielle. Beaucoup de morts. Des centaines d’empoisonnés. Des émissions spéciales à la télé… C’est pour ça que vous…» «Oui, Monsieur Sorel», répondit Parker, qui tenait dans ses main une valise diplomatique. «C’est pour cette raison que nous sommes ici. Quatorze autres personnes sont mortes depuis que vous avez vu le rapport.» «Horrible», déclara Ratoff en baissant le regard vers ses chaussures sur mesure Ferragamo. Les chaussures étaient d’un gris argenté, comme son costume, qu’il avait assorti d’une chemise bleue et d’une cravate à rayures argent et bleues. «Absolument horrible. Souvenez-vous, c’est nous qui avons construit le centre de données.» «Pourquoi?» demanda Philip. «L’accident est-il dû à une erreur du centre de données?» «Nous ne le savons pas», répondit Parker. «L’enquête n’est en cours que depuis hier. Une chose est certaine. Ce n’était pas un accident, c’était une attaque terroriste.» «Terrible, Philip, tout à fait horrible», intervint Ratoff. «Le commissaire principal a ordonné un blackout de l’information. C’est pour cette raison que je t’ai appelé depuis le parc. Ici, nous pouvons parler sans que personne ne nous entende.» «Comment êtes-vous arrivé à Genève si tôt, M. Parker? Je veux dire, avec quel avion?» «Un vol spécial», dit vivement Ratoff. «Nous avons atterri il y a une heure.» «Marchons un peu», dit Parker. Dans l’octogone de roses, l’odeur devenait presque assourdissante. Il n’y avait toujours personne en vue et les oiseaux chantaient encore dans les cimes des arbres. Philip regarda, au-delà du parc, le lac luisant sous le soleil. En 1999, l’auteur autrichien de best-sellers Johannes Mario Simmel(35 romans, 73 millions d’exemplaires, 33 langues),fait donc pousser avec son roman Liebe ist die letzte Brücke («L’amour est le dernier pont»)une intrigue internationaledans le parc La Grange:un lieu où,si l’on en croit l’écrivain,on parvient à se cacher des yeux du monde.Un lieu de rencontres secrètes et de séparation,comme les cavernesminérales ou végétalesdes rituels d’initiation des sociétés tribales –un lieu où l’on passe un certain temps à l’écart,avant de retourner prendre sa place en société,mais transformé-e. C’est ce qui se passedans le deuxième texteque nous avons parcourupour tenter de comprendre la nature de ce lieu –un roman dont la narratrice,Johanne,parcourt trois fois un parc genevois doté de colonnes,en ne sachant pas,puis en espérant,puis en sachantqui elle rencontrera. «La vitrine vibre dans mon dos. La porte a claqué. La journée est finie. Je peux partir plus tôt. La patronne fermera. Je passe par le parc. M’aérer. M’asseoir sur un banc. Observer les reflets du ciel. La douceur de l’air me caresse. Avec gentillesse. Je rejoins les dalles sous les arcades. Entendre le son de mes pas. J’avance. […]

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Parc de l’Ariana – Indiana Jones et les nazis du Léman

Une plongée dans l’imaginaire romanesque du parc du parc de l’Ariana… Le texte que je tiens entre les mainsest une tentative de comprendre où je suis. Qu’est-ce que c’est que ce lieu improbable,incrusté dans le quartier des organisations internationales,dominant une pente verte qui roule jusqu’au lac?Quelle est sa place dans le vécu et dans l’imaginaire de cette ville?Dans quel but y a-t-on planté ce palais hyperbolique?Quel genre de personne vient y traîner? Vous m’excuserez de convoquer une référence un peu convenue,mais il faut le dire:bien que le nom de ce parc renvoie à une dénommée Ariana,il s’avère ardu de détecter le fil de cette Ariana-là.Pourtant, cette Ariana s’appelait bien Ariane,Ariane de la Rive.D’ailleurs ce parc allait justement jusqu’à la rive,où il y avait un port qu’on appelait «port de l’Ariana»avec un restaurant sur pilotis.S’appuyant sur la documentation iconographique de l’époque,c’est-à-dire sur des vieilles cartes postales,le journaliste Jean-Claude Ferrier de la Tribune de Genèveécrira,bien plus tard,que cet établissement ressemblait –on le cite –à une pagode chinoiseou à un gâteau de mariage bavarois.Le journaliste note aussi quele restaurant du port de l’Arianaest démolien 1911parce que son architecture déplaisait semble-t-il très fortementau public genevois. Il s’avère ardu, disais-je,de trouver le fil d’Arianequi, de la rive,conduit au lieu où nous nous trouvons aujourd’hui.Mais comme nous sommes icidans une appendice,une excroissancemouvante et connectéed’un réseau de bibliothèques,nous avons malgré tout cherché ce filen feuilletant des livres.Et comme nous sommes ici en un lieu,où l’on explore des chosesréelles et imaginairespar des voies numériques,nous avons aussi cherché ce filsur le réseau. Commençonspar ce par quoi il est facile de commencer. Avant d’être un parc,ce parc est une campagneappelée Varembé,partagée en plusieurs domaines,dont l’un appartientà un certain Revilliod.Revilliod se marieavec Ariane.Ariane et Philippe-Léonard– c’est le prénom du type –ont un enfant,Gustave,qui voyage,collectionne,hérite,agrandit le domaine,construit ce palais,meurt célibataire et sans enfants,léguant ses biens à la Villeen 1890. Arrêtons-nous un instantsur cet ensemble de circonstances.Vous êtes Gustave,vous possédez un hôtel particulierau 12, rue de l’Hôtel-de-Ville,que vous remplissez d’objets ramenés de partout,que des gens viennent admirer de partout,jusqu’au moment où vous vous trouvez à l’étroit:il faut plus de placepour cette collection,pour cette admiration. Vous décidez donc de construireun lieu monumental et majestueuxpour abriter et montrerles 30’000 pièces amassées çà et là. Pour mettre en route ce projetvous embarquezdans une escapadeun jeune homme,qui a fait des études d’architecture.Vous l’embarquezpour qu’il s’imprègnedu style des palazzi somptueuxqu’on bâtissait en 1500, en 1600 ou en 1700en Italie.Vous reveneztous les deuxavec plein d’idées,vous les mélangez touteset vous construisezvotre musée privée. C’est ça, la vie à la Gustave. Et vous baptisez votre palaisen hommage à votre mèrequi entre-temps est défunte,vous laissant un héritage qui,justement,vous a permis de dépenser comme ça sans compter.Vous donnez donc au palaisle nomme d’Ariane,un petit peu modifié:Ariana. Or donc,au sujet d’Ariane,il est malheureux de constater que l’intégralité du Webne dit presque riensi ce n’est que le peintre Firmin Massot lui fit à dix-huit ans un portraitet qu’elle fut ensuite l’épouse de Philippe-Léonard,puis la mère de Gustave,et que Gustave écrivit dans son testament«Ma mère m’a inspiré dès mes plus jeunes ans, et a nourri plus tard en moi les goûts qui ont fait le bonheur de ma vie» –et c’est à peu près tout.On peut ainsi dire que l’Ariana célèbre Arianeen la faisant disparaître. On part donc tirer les fils qu’on peutdans le catalogue des bibliothèqueset dans d’autres bases de données,et on trouve non pas un fil,mais un petit écheveau passablement écheveléayant pour fil rouge un je-se-sais-quoi d’impénétrable et sibyllin. Si on tire un premier filde cette pelote d’Arianeen tapant «parc» et «Ariana» dans Google Bookson tombe surMonsieur Thorpe,étrange nouvelle d’Emmanuel Bove,étrange auteur français,de mère luxembourgeoise et de père russe,qui fit un bout de scolarité à Genèveau début des années 1910sous l’identité d’Emmanuel Bobovnikoff,qui était en fait son vrai nom.Dans la nouvelle,publiée en 1930,on ne sait pas trop ce qui se passe,si ce n’est peut-être le mystèresouvent perturbantque les adultes représentent pour les enfants. «Avant que mes parents eussent quitté Genève, nous habitions dans une maison neuve de la rue de l’École de Médecine, au sixième étage. (…) Ce fut dans cet appartement que je vis pour la première fois M. Thorpe. Mon père l’avait amené à déjeuner, mais ainsi qu’il faisait toujours, sans prévenir ma mère. Je n’avais absolument prêté aucune attention à ce convive, et sans les relations qui suivirent, je crois qu’il eût disparu à tout jamais de ma mémoire. Car, à table, j’étais toujours absent. Je n’avais qu’une pensée, finir rapidement le repas afin de m’éclipser. C’était un supplice pour moi d’attendre que mes parents eussent achevé. Aussi, quand nous avions un hôte et que le repas se prolongeait, je sentais sourdre en moi une grande colère à l’endroit de l’invité qui, sans s’en douter, m’obligeait à rester à table. Finalement, lorsque je pouvais me lever, j’éprouvais un tel soulagement que j’oubliais presque aussitôt celui qui était cause de la lenteur du repas. J’avais donc complètement oublié M. Thorpe lorsqu’au printemps de l’année 1910 ou 11, je l’aperçus au parc de l’Ariana. Il était assis face au lac et regardait au loin le Mont-Blanc, semblable, vu de cet endroit, au chapeau de Napoléon, ainsi que le disent les petites brochures de propagande. Je ne l’avais pas reconnu mais son visage, l’ensemble de sa personne, m’étaient familiers. J’allais continuer mon chemin, lorsque, tout à coup, il se leva, me sourit et vint à moi. Je m’arrêtai et attendis qu’il m’apprît qui il était, mais il ne paraissait pas s’apercevoir que je ne me rappelais pas son visage. Tout de suite il me demanda comment allaient mes parents. Quand je lui appris qu’ils étaient partis pour le midi de la France, il eut une mine si surprise et si inquiète que je craignis tout à coup d’avoir dévoilé l’adresse de mon père. Au même moment, je me souvins du déjeuner qu’il fit chez nous et je le revis parlant à mes parents. Était-il leur ami ? Je l’ignorais. C’est une faiblesse des enfants de ne pouvoir évaluer le degré d’amitié qu’ont leurs parents […]

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Parc La Perle du Lac – Brochettes d’espion-ne-s

Une plongée dans l’imaginaire romanesque du parc de la Perle du Lac… Si je me pose devant le clavier de mon ordinateur,si j’ouvre un navigateur,si je tape l’adresse de Google Books,(car je me suis donné pour mission de révéler l’imaginaire romanesque des parcsà travers des explorations numériques),si j’écris ensuite «Perle du Lac» dans la case de recherche,si j’appuie enfin sur la touche «Retour» pour voir les résultats,si je fais donc tout ça,eh bien,je suis perdu-e. Car me voici à Bellagio,la perle du lac de Côme, en Italie,pullulante de célébrités.Me voici au château de Chillon,la perle du lac Léman(même si à vrai dire,l’expression «perle du lac Léman»a également été utiliséepour désigner les localités deEvian, Lausanne, Montreux, Vevey, Yvoire,en ordre alphabétique).Me voici à Gisenyi,la perle du lac Kivu,station balnéaire au Rwanda,dotée d’une plage de sable fin.Me voici à Sirmione,la perle du lac de Garde,village posé au bout d’une presqu’îleen Italie.Me voici à Brunnen,la perle du lac des Quatre-Cantons,dans le canton de Schwyz.Me voici à Ascona,la perle du lac Majeur,dans le canton du Tessin.Me voici à Stresa,la perle du lac Majeur aussi,mais en Italie. Me voici au parc La Perle du Lac,ainsi appelé,paraît-il,parce qu’une femme s’y extasiaen découvrant ces lieuxen mille neuf cent et quelques,et en s’exclamant:«Ceci est la perle du lac!»(ou «Ceci est vraiment la perle du lac!»,ou «This is really the pearl of the lake!»selon d’autres versions). Il faut ouvrir à ce proposune parenthèse.Si l’on confie à Googlel’exclamation de cette dame,on tombe sur une petite quarantaine de résultatsqui identifienttouscette femmecomme «épouse de…»Toussauf un,un site de gens qui courent,appelé marathonien67.skyrock.com,seul parmi les 40à s’intéresser au nom de la femme,ou du moins à son prénom:Florence.En cherchantun peu plus loin,on trouve son nom complet:Florence Frances May Crotty,secrétaire britannique,épouse,en 1911,à 29 ans,de Hans Wilsdorf,mystérieux horloger suisse,fondateur de l’entreprise Rolex.Merci à elle,donc,pour ce nom. Bref. Toutes ces perlesde tous ces lacs. Y a-t-il un point commun?Y a-t-il un complot,une intrigue,une conspiration? En fait,Il y en a plein.Pas tellement à Bellagio, Chillon, Gisenyi, Sirmione, Brunnen, Ascona, Stresa,mais à Genève,au parc de la Perle du Lac,anciennement propriété du dénommé François Bartholoni,entrepreneur français dans les chemins de fer,inventeur,si l’on peut dire,de la gare Cornavin. Ce qu’on trouve doncen tapant «Perle du Lac» dans Google Bookspour voir quelles traces ce parc a laisséesdans des romans,ce sont des complots. Exemple n. 1.En 2009,l’auteur britannique James Twining publieThe Geneva Deception,traduit en français sous le titre L’Affaire Caravage,roman dont les ingrédients sont– une série de meurtres horripilants inspirés des tableaux du peintre italien Le Caravage,– un voleur d’art reconverti en traqueur d’art volé pour le FBI,– un pacte ancien, scellé dans le sang,– des sociétés secrètes,– le Vatican,– la Mafia,– et Genève,ses Ports-Francs,entrepôts hors douaned’où surgissent parfois10’000 pièces archéologiquesprovenant de fouilles clandestines,et sa Perle du Lacoù Verity Bruce,acheteuse d’art pour un musée de Los Angeles,rencontre un marchandforcément loucheappelé Earl Faulkspour négocier l’acquisition d’un artefact légendaire,un masque grec en ivoire du dieu Apollon. «Restaurant La Perle du lac, Genève20 mars – 12 h 30Faulks s’appuya sur son parapluie pour accueillir Verity, que le maître d’hôtel guidait vers sa table, en terrasse. Elle portait une robe noire, une veste en denim, ainsi qu’un sac Hermès Birkin du même rouge que ses chaussures. La moitié de son visage était masqué par une paire de lunettes de soleil Chanel, et elle arborait un lourd collier de pierres semi-précieuses.— Earl chéri.Elle lui souffla un baiser.— Désolée, je suis en retard. Les contrôleurs aériens espagnols étaient encore en grève. Quelle surprise ! Je viens juste d’arriver.— Je t’en prie, dit-il en s’avançant pour lui présenter galamment sa chaise avant de lui tendre sa serviette avec emphase.Le maître d’hôtel, désappointé d’être ainsi supplanté en public, se retira dans un silence amer.— Que fêtons-nous ? demanda-t-elle avec excitation, au moment où le serveur s’avançait pour leur servir un verre de Pol Roger, cuvée Sir Winston Churchill, que Faulks avait commandée avant son arrivée.— Je prends toujours du champagne au déjeuner, susurra-t-il. Pas toi ?— Oh, Earl, tu es infernal.Elle but une gorgée du breuvage pétillant.— Tu sais que c’est mon préféré. Tout simplement exquis, comme la vue de ce restaurant, ajouta-t-elle en faisant un geste en direction du lac, dont la surface scintillait comme un diamant sous la caresse du soleil.— Tu as dû vendre ton âme pour obtenir une journée aussi parfaite.— Tu n’as pas tout à fait tort, répondit-il en lui adressant un clin d’oeil.Un sourire malicieux sur les lèvres, elle se tourna vers lui, puis puis repoussa ses lunettes sur le haut de son crâne et protégea sesyeux de la lumière d’une main.— Serais-tu en train d’essayer de m’amadouer ?— Je n’oserais pas, minauda-t-il.Le serveur apparut à leur table.— Le pigeon rôti est délicieux, déclara Faulks.Après avoir pris la commande, le serveur s’éclipsa. Il y eut un moment d’accalmie. Verity fit tinter ses ongles longs et finement vernis contre son verre, en écho au bruit des couverts des tables voisines. Puis elle darda sur lui un regard brûlant.— Alors, tu l’as ? demanda-t-elle avec un détachement feint.Voilà. C’était la question qu’il attendait. Faulks était impressionné. Elle avait mis trois minutes de plus qu’il ne le pensait pour l’interroger. Apparemment, elle voulait paraître décontractée.— Je l’ai. Il est arrivé hier. Je l’ai déballé moi-même.— Est-ce qu’il…Sa question mourut sur ses lèvres, comme si elle était incapable de formuler ses sentiments. Aussitôt, sa stratégie soigneusement élaborée de feindre l’indifférence vola en éclats.— Il est tel que tu l’avais rêvé.Elle s’interrompit et prit une profonde inspiration, s’efforçant visiblement de se redonner une contenance.— Si tu authentifies l’œuvre, mon acheteur m’a promis d’avoir l’argent à la fin de la semaine. Le masque pourrait être en Californie dès la fin du mois.— Nous pourrions aller chez moi vers 15 heures.— Dans deux heures et demie, dit-elle en consultant sa montre avec un sourire. Je suppose que ce n’est pas si long, après 2’500 d’attente.» Exemple n. 2En 2002,après dix ans de travail,l’historien américain Gregg Herken publieBrotherhood of the Bomb: The Tangled Lives and Loyalties of Robert Oppenheimer, Ernest Lawrence, and Edward Teller,titre qu’on traduirait en français […]

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Parc Bertrand, vers le milieu du 21e siècle – Une manifestation de rue chrétienne, nudiste et avinée

Dans une Genève future et sans voitures, le Web-gourou chrétien Georges de Gy lance, depuis le parc Bertrand, une offensive contre Geronimo Jules, grand homme mort 25 ans plus tôt dans une baignoire… Le livre_ Un exemple à suivre, de Guillaume Rihs, Paris, Kero, 2017 «Le grand homme dont Genève s’apprête à fêter le quart de siècle de la disparition est Geronimo Jules, un homme politique et un philosophe, à moins que ce ne soit l’inverse, qui a fait de la ville un parc géant, transformant les quartiers en zones vertes sans voitures. Il est aussi celui qui a fait voter l’interdiction des cloches d’église, au nom d’une laïcité stricte. Il aurait voulu aussi cacher les sans-abri dans les caves mais son initiative «Halte à la misère» avait échoué. (…) Mais ce joyeux ordonnancement est menacé par le terrible Georges de Gy dont la soif de vengeance n’a d’égal que son succès sur les réseaux sociaux. Hargneux rival politique de feu Geronimo Jules, le pétulant octogénaire a juré d’empêcher le Quart de siècle d’avoir lieu. Avec son amant, il rassemble les foules en quelques clics, envoûte les jeunes de vingt ans par sa foi chrétienne démonstrative et danse en roi de la fête lors d’immenses cortèges.» (Lisbeth Koutchoumoff, «Le comique des commémorations», Le Temps, 22.04.2017) =>Le journal Le Temps dans l’offre PressReader des BM. => Le livre dans le catalogue des Bibliothèques municipales L’extrait choisi_ «Au milieu du parc Bertrand, un paysan avait dressé un enclos et y élevait un troupeau qui faisait une viande locale. Si cela ne vous attristait pas trop, vous pouviez vous réserver une côte, une joue, une queue ; c’était traçable et ça avait du succès. Vous pouviez aussi louer une bête pour la journée, pour les enfants, pour faire un tour. Ce sont des animaux placides. Georges de Gy en avait choisi quatre, et de solidement charpentés. Georges de Gy, qui aime avoir les choses en main, traquait son bétail lui-même au milieu du parc Bertrand. Le paysan, leur propriétaire, l’accompagnait du regard et fumait près d’un pin. Réunir quatre bœufs et les atteler n’est pas une mince initiative ; Georges de Gy clopinait, un fouet à la main, les manches d’une chemise délicate relevées et les chaussures pas appropriées du tout. Son inexpérience et son âge avancé sautaient aux yeux de tous les promeneurs qui passaient par ici. Après l’avoir laissé se démener quelque temps, le paysan finalement s’en mêla et, d’un geste sûr, il réunit les animaux sous de magnifiques carcans anciens. Il les flanqua de quelques complices. Le paysan, payé, s’y intéressa à peine. Il dit vous serez patients, hein, vous ne les brusquerez pas, et il prit congé. Arriva Gomes d’un pas souple, rasé de frais et habillé de lin clair, on aurait dit un colon, avec, auprès de lui, quelques amis de son âge et des garçons et des jeunes filles plus jeunes, une trentaine en tout très excités, riant, blaguant ; une fière bande. Apercevant cette communauté fidèle, Georges de Gy éprouva une bouffée d’orgueil. Un seul mot sur une vidéo et paf, ils rappliquent ! Avant de se mettre en route, il assit son monde autour de lui et, pour se chauffer la voix, il proposa quelques improvisations, plaisanteries, chansons, dont cet air de sa composition : « Oh j’entends ton cul qui claque, mon capitaine » , puis il rappela les tenants et les aboutissants de tout ce carnaval : — Nos autorités célèbrent la médiocrité, qu’à cela ne tienne ! Nous célébrerons nos valeurs à nous, nous, la joie, nous ! Nous ne sommes pas des bœufs, nous ! Des êtres humains, nous ! Et nous allons leur montrer ce qu’être humain signifie ! Gomes, fais passer les liqueurs ! Plusieurs bouteilles circulèrent. On continua de chanter : « Quels sont les ordres mon capitaine ? » Et c’est un festival en plein air qui s’improvisait déjà. Déjà, des promeneurs se joignaient aux premiers arrivés, trouvant que c’était sympathique, mais qui êtes-vous exactement ? Jusqu’au moment de se mettre en route. — On y va, allez, dit Georges de Gy, qui sait ébranler une troupe. Les quelque quarante qu’on dénombrait maintenant, moins quelques-uns à pied pour guider l’attelage, grimpèrent sur le char. Deux trônes dominaient à l’arrière ainsi qu’une demi-douzaine d’enceintes alimentées d’un générateur. On fit retentir une musique électrique. Le cortège s’ébranla à pas bovins, on pouvait monter et descendre du char en route sans difficulté. On y distribuait des alcools, on y fumait de l’herbe, on y riait et on s’y tenait bras dessus bras dessous vers un après-midi heureux. Ils traversèrent le parc plein d’envies et sans scrupules, et derrière eux les cadavres de bouteilles dérivaient comme des naufragés.»  

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Parc Bertrand, 1974 – La traumatisée du toboggan

En naviguant dans sa mémoire pour autopsier une relation amoureuse, Monica tombe sur une chute dans un parc genevois… Le livre_ Tout cela n’a rien à voir avec moi, de Monica Sabolo, Paris, Jean-Claude Lattès, 2013 «Ce troisième roman, qu’elle considère un peu comme son premier, raconte, ou plutôt autopsie, un chagrin d’amour, Tout cela n’a rien à voir avec moi. Et pourtant, au contraire, tout cela a beaucoup à voir avec elle, et pour la première fois, elle a l’impression que ce texte reflète ce qu’elle est: «J’avais trouvé ma place dans ma tête, je m’autorisais quelque chose qui me ressemblait. Mais comme ce récit jouait avec l’autofiction, j’avais un peu l’impression de me balader toute nue dans la rue!» Dans ce roman, elle décrypte un chagrin d’amour, décrit toutes les stupidités auxquelles on peut se laisser aller dans ces moments-là, mais aussi la souffrance que l’on éprouve. Elle intercale ses propos de plein de photos qui sont autant de petits cailloux dans cette aventure. Beaucoup de gens s’y retrouvent. Le livre rencontre le succès et remporte le très branché Prix de Flore.» (Pascale Frey, «Monica Sabolo et les secrets de famille», Tribune de Genève, 24.08.2015) => Le livre dans le catalogue des Bibliothèques municipales L’auteure_ «Née à Milan, elle a grandi et fait ses études à Genève, passé ses vacances à Crans-Montana, avant de tout quitter pour travailler avec le WWF en Guyane, puis au Canada. Là-bas, elle rencontre quelqu’un qui lance un nouveau magazine à Paris, Terre et océans. La voilà journaliste, et parisienne! Elle a alors vingt-quatre ans, l’envie d’écrire, mais rien de plus précis. Le désir aussi, probablement, de mettre quelques centaines de kilomètres entre sa famille et son présent, le besoin de recommencer à zéro. Après Terre et océans, elle ose un grand écart en entrant au magazine très people Voici. La chasse aux célébrités remplace celle à la baleine… «En huit ans, je crois avoir occupé tous les postes! se souvient-elle. Puis j’ai travaillé à ELLE pendant quatre ans. J’ai arrêté pour écrire mon premier livre, Le roman de Lili, en 2000. Elle commente: «C’était une histoire assez légère, pas vraiment littéraire, mais j’avais 27 ans, et à l’époque, c’était ce dont j’avais envie. » Monica Sabolo laisse passer ensuite cinq années, le temps de faire deux enfants, avant de se lancer dans son deuxième ouvrage. Et puis plus rien à nouveau jusqu’en 2013. A ce moment-là, sa vie change de manière radicale, son envie d’écrire s’intensifie. Elle décide cette fois de s’y mettre sérieusement, de s’en donner les moyens, et quitte le magazine Grazia, où elle dirigeait la rubrique culturelle.» (Pascale Frey, «Monica Sabolo et les secrets de famille», Tribune de Genève, 24.08.2015) «Mais c’est avec Tout cela n’a rien à voir avec moi (2013) que la vie de Monica Sabolo change. Le succès de ce roman-enquête autobiographique, qui explore le chagrin d’amour à la façon d’un rapport de police zébré de poésie et d’humour, lui permet de se consacrer à l’écriture. Et de dépister ces secrets de famille qui lestent les vies.» (Lisbeth Koutchoumoff, «Monica Sabolo, à l’encre du lac», Le Temps, 07.10.2017) => Le journal Le Temps dans l’offre PressReader des BM. L’extrait choisi_ «Monica s’adapta à sa nouvelle vie avec la souplesse et la bonne volonté propre aux enfants, en particulier aux enfants nés dans le péché. Quelques mois après son arrivée à Genève, elle parlait français et ne prononçait plus un seul mot d’italien, cette langue issue d’un monde qui n’existait plus, enseveli comme Pompéi sous les cendres et la sidération. Au mois d’août 1974, elle accueillit la naissance de son petit frère Fabrice avec une joie souveraine, et entra au jardin d’enfants en gambadant, comme si les terres inconnues ne constituaient pas un problème mais la réponse à une volonté d’émancipation revendiquée. Au mois de novembre 1974, Monica monta sur un toboggan dans l’aire de jeu du parc Bertrand, et sous les yeux de sa mère, plongea la tête la première sur le béton. Elle se cassa le nez et afficha pendant plusieurs semaines un œdème géant qui mettait tout le monde mal à l’aise, ce qui ne l’empêchait pas de continuer de sourire, à la façon d’un politique soucieux avant tout du bien-être de ses administrés. À partir de ce jour, elle se mit à fréquenter les urgences et le cabinet du pédiatre avec une régularité remarquable, comme si l’épisode du toboggan avait révélé un goût secret pour la chute et le vide. Elle tombait sans cesse, dans la rue, au parc, au jardin d’enfants, puis à l’école, un effondrement discret, silencieux, qui se distinguait néanmoins par une prouesse mécanique – elle plongeait la tête la première, sans jamais se protéger de ses mains. Une signature personnelle qui lui valait des stigmates spectaculaires, œufs de pigeon sur le front, œil au beurre noir, menton ensanglanté, joues balafrées, et, acmé acrobatique, un traumatisme crânien remporté en chutant d’un tricycle à l’arrêt. Elle pratiqua cet art subtil jusqu’en 1977, année où elle fut contrainte de prendre des cours de judo. Confrontée à monsieur Weber, un professeur suisse allemand qui ne rigolait pas avec la motricité, elle dut renoncer à exprimer sa créativité par la voie du trauma et, vaincue, décrocha sa ceinture jaune.»

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