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fiction

Un parc genevois avec des colonnes, 2006 – La femme qui ne s’y attendait pas

Une femme parcourt trois fois un parc genevois doté de colonnes. Elle ne sait pas, puis elle espère, puis elle sait qui elle y rencontrera… Le livre_ L’Effrôlée, de Sabrina Berreghis, Grolley, L’Hèbe, 2006 «Johanne. Mariée. Deux enfants. Amoureuse de Marc. La famille parfaite. Normale. Heureuse. Et puis «ça» arrive. L’autre. Le troisième élément qui vient casser l’équilibre. Le cataclysme qui réduit à néant ce qu’on croyait solide. Le tremblement de terre qui pulvérise les certitudes. Seulement voilà: l’autre cette fois se décline au féminin. Johanne tombe amoureuse d’une femme. Et c’est toute son âme qui titube. Le choc est tellement total qu’il n’y a pas de place pour les longues considérations métaphysiques: essentiel, factuel, ce roman au style incisif est comme un coup de poing qui nous tient en haleine de la première à la dernière page.» Les trois extraits choisis_ «La vitrine vibre dans mon dos. La porte a claqué. La journée est finie. Je peux partir plus tôt. La patronne fermera. Je passe par le parc. M’aérer. M’asseoir sur un banc. Observer les reflets du ciel. La douceur de l’air me caresse. Avec gentillesse. Je rejoins les dalles sous les arcades. Entendre le son de mes pas. J’avance. Une voix de femme s’élève entre les colonnes. Devant. Plus loin. Comme un charme. L’Ave Maria. J’avance. Les colonnes s’emmêlent et se détachent au fur et à mesure. Des feuilles de papier qui pointent. Deux mains qui les tiennent. Un chapeau de toile par terre. Quelques pièces à l’intérieur. Je m’approche. Le mouvement dévoile la chanteuse de profil. Sa bouche arrondie. Ses lèvres en un cercle tendu. Des volutes de voix s’échappent là où le souffle se fait chant. Une main lâche les feuilles. Deux doigts lissent une mèche de cheveux derrière son oreille. Délicatement. Elle regarde ses partitions. Et le public. Puis ses partitions à nouveau. Ses cheveux scintillent dans le jour. Le sol est strié de faisceaux de lumière. Ses jambes se tiennent des deux côtés de sa jupe. Avec une grâce timide. Comme un dessin d’enfant. Elle parcourt l’assemblée des yeux. Son regard s’approche. Bientôt me frôlera. Ses yeux dans mes yeux. Encore.» «Aujourd’hui l’inventaire est interminable. Depuis le matin j’attends la fin de la journée. Stéphane me propose de fermer. Il ne sousentend rien. Mais moi j’ai honte quand même. La patronne est déjà partie. Mes pieds reprennent la direction du parc. Je ne sais pas à quoi je joue. Je veux juste la revoir. Une fois. La regarder. Bien en face. Voir son visage. De femme. Son corps. De femme. Voir que c’est une inconnue. Qu’il n’y a rien. Qu’il ne peut rien y avoir. Voir son malaise. De mon insistance. De mon attirance. Regarder ma folie par les yeux. Recouvrer la raison. Et puis rentrer chez moi. Sereine. Je pense à Marc. Je veux rentrer chez moi. L’entrée du parc est là. Les dalles sous mes talons. Ma course résonne le long des colonnes. Mon coeur s’affole. Je m’arrête. J’entends des cris d’enfants. Deux vieilles  marchent devant moi. Courbées. Leurs voix cassées dans l’air de la fin du jour. Et nulle trace de chant. La gorge étreinte. Je me remets à courir. Espérant. Entendant sa voix dans mes oreilles. Je veux qu’elle soit là. Je veux. Le bout des colonnes devant moi. Le silence du vide. Je tourne tout autour. Anna n’y est pas. Je tourne. Autour. Comme si elle allait apparaître. J’ai envie de pleurer. Mais je n’y arrive pas. Je suis adossée contre une colonne. En colère. Je regrette. J’aurais dû lui parler hier. Je voulais voir la réalité en face. Je ne sens qu’une douleur. Animale. Je me force pour pleurer. Mais les larmes restent collées au fond. Je me tape dans ma tête. Qu’est-ce que je voulais? Je prends toute ma force de haine. Et je la jette contre moi. Je m’écrase sous le coup. Sur un banc. J’ai mal. Paumée là. Dans ce parc trop grand. Je vais rentrer. Je suis malade. Je vais me soigner.» «Sa voix m’accueille à l’entrée du parc. – I’m a fool to want you. Je ferme les yeux en m’arrêtant. – I’m a fool to want you. To want a love that can’t be true, a love that’s there for love is true. I’m a fool to hold you. To seek a kiss not mine alone, to share a kiss the devil has known. Des gens l’écoutent. Je me place. Pas loin. De façon à la voir pour moi toute seule. Elle porte un manteau rouge. En daim. Et une jupe dessous. Une grosse écharpe de laine multicolore. Ses lèvres mélodieuses. Sa voix autour des colonnes. – Pity me I need you. I know it’s wrong, it must be wrong, but right or wrong I can’t get along without you. Je suis hors du temps. Elle est belle. Ma Marie. Elle m’a vu. La chanson se termine. Les applaudissements. Elle se penche pour éteindre l’appareil à cassette. Je l’aide. Lui fais la bise. Les gens s’en vont. Nous quittons le parc. Dans une petite rue, sous un porche, Marie me tire. Un mur contre mon dos. Elle m’embrasse. Il fait noir sous mes paupières. Notre premier baiser dehors.»

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Parc La Grange, 1999 – Des milliers de roses et un complot mondial

Au cours d’un rendez-vous secret dans le parc, l’informaticien Philip Sorel découvre que son entreprise fait, comme on dit, «le travail du Diable»… Le livre_ Liebe ist die Letzte Brücke (L’amour est le dernier pont), de Johannes Mario Simmel, Munich, Droemer, 1999 «Pour l’informaticien Philip Sorel, le monde s’effondre. Des virus infiltrés dans les ordinateurs déclenchent des catastrophes planétaires, une nouvelle génération de terreur internationale voit le jour – et l’entreprise pour laquelle il travaille joue un rôle crucial là-dedans… Avec ce crime monstrueux en toile de fond, une histoire d’amour surgit, magnifique et douce-amère, entre une femme et deux hommes…» => Le livre (en VO allemande) dans le catalogue des BM. L’auteur_ «Johannes Mario Simmel est un romancier, scénariste et journaliste autrichien né à Vienne le 7 avril 1924 et mort le 1er janvier 2009 à Zoug.» (Wikipédia) «Il est l’auteur de 35 romans dont les thématiques sérieuses – le Troisième Reich, la Guerre froide, le marché de la drogue, le racisme, le fervent pacifisme de l’auteur… – n’ont nullement entravé la progression dans la liste des best-sellers. Ses livres se sont vendu à 73 millions d’exemplaires et ont été traduits en 33 langues, faisant de lui un des écrivains germanophones les plus populaires de tous les temps.» («Johannes Mario Simmel: Million-selling Austrian novelist», The Independent, 16.01.2009) => Le journal The Independent dans l’offre PressReader des BM. L’extrait choisi_ «Il franchit une haute porte en fer forgé pour entrer dans le parc, encore désert à cette heure matinale. En un gigantesque octogone, découpé en secteurs comme les tranches d’une tarte, poussaient des milliers de roses. Au-delà, Philip aperçut la bâtisse blanche. Appuyé contre la rambarde se tenait Donald Ratoff, gros et court sur pattes, à côté d’un homme grand et mince. Ratoff agita la main. Philip fit un signe en retour. Qui était le deuxième homme? Ratoff ne l’avait pas mentionné. À travers le lit de roses, Philip s’approcha de la maison. «Salut», dit Ratoff, alors que Philip s’avançait vers les deux hommes. Il tendit une main molle et moite, qui se logea dans celle de Philip sans exercer la moindre pression. «Heureux que tu sois venu si vite.» Il présenta le deuxième homme, qui était vêtu d’un costume beige d’été. «M. Günter Parker, commissaire principal, chef de la Commission spéciale 12 juillet.» «Ravi de faire votre connaissance», déclara Parker. Sa poignée de main était ferme. Il avait un visage mince et bronzé, des cheveux blonds coupés court, des sourcils blonds et touffus et des yeux brillants. Commissaire principal – pensa Philip – et pourtant si jeune. Il paraissait étrangement sérieux et triste. Philip se sentit soudain très vieux. Le gros Ratoff, qui affichait une bouche tordue et un crâne sur lequel on ne trouvait pas un cheveu, dit: «Vous savez ce qui s’est passé à Berlin.» «À Berlin?» «Hier après-midi à Spandau. Aux United Remedies. C’est alors que…» «Oh, bien sûr!» Soudain, Philip se souvint de ce qu’il avait vu et entendu sur la chaîne ZDF, juste avant que Simone ne vienne à son appartement. «Un nuage de chlore gazeux s’est échappé d’une chaudière industrielle. Beaucoup de morts. Des centaines d’empoisonnés. Des émissions spéciales à la télé… C’est pour ça que vous…» «Oui, Monsieur Sorel», répondit Parker, qui tenait dans ses main une valise diplomatique. «C’est pour cette raison que nous sommes ici. Quatorze autres personnes sont mortes depuis que vous avez vu le rapport.» «Horrible», déclara Ratoff en baissant le regard vers ses chaussures sur mesure Ferragamo. Les chaussures étaient d’un gris argenté, comme son costume, qu’il avait assorti d’une chemise bleue et d’une cravate à rayures argent et bleues. «Absolument horrible. Souvenez-vous, c’est nous qui avons construit le centre de données.» «Pourquoi?» demanda Philip. «L’accident est-il dû à une erreur du centre de données?» «Nous ne le savons pas», répondit Parker. «L’enquête n’est en cours que depuis hier. Une chose est certaine. Ce n’était pas un accident, c’était une attaque terroriste.» «Terrible, Philip, tout à fait horrible», intervint Ratoff. «Le commissaire principal a ordonné un blackout de l’information. C’est pour cette raison que je t’ai appelé depuis le parc. Ici, nous pouvons parler sans que personne ne nous entende.» «Comment êtes-vous arrivé à Genève si tôt, M. Parker? Je veux dire, avec quel avion?» «Un vol spécial», dit vivement Ratoff. «Nous avons atterri il y a une heure.» «Marchons un peu», dit Parker. Dans l’octogone de roses, l’odeur devenait presque assourdissante. Il n’y avait toujours personne en vue et les oiseaux chantaient encore dans les cimes des arbres. Philip regarda, au-delà du parc, le lac luisant sous le soleil.» (Traduction: Google Translate, retouchée par nos soins)

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Parc La Grange, 2018 – Le mystérieux projet Gorski

Tandis que le parc disparaît sous la neige, un appartement de l’avenue adjacente se remplit de gens et se vide d’objets grâce – peut-être – au mystérieux «projet Gorski»… Le livre_ Aujourd’hui dans le désordre, de Guillaume Rihs, Paris, Kero, 2016 «Janvier à Genève. Louise et ses frères ont inscrit le grand appartement familial sur un site afin d’accueillir des voyageurs pour quelques jours. Leur première invitée est Victoria, une jeune Anglaise en quête d’aventure. L’appartement se remplit au rythme des arrivées alors que dehors le climat se dégrade. Bientôt, une tempête de neige va bloquer tout le monde à l’intérieur, les forçant à s’organiser.» (Site des Editions Kero) «A ce moment-là, personne ne le sait encore, débute un huis clos qui, de la charmante initiative, va basculer dans l’épreuve, climatique et humaine. (…) Car les choses, ici, occupent beaucoup de place. L’appartement est littéralement envahi par les meubles et les objets. (…) A ce processus d’accumulation, répond son exact contraire, un grand rêve d’allégement et de décroissance que Victoria porte et ne cesse d’expliquer aux autres, au fur et à mesure des arrivées.» («Rire de nous-même, sous deux mètres de neige», par Lisbeth Koutchoumoff, Le Temps, 12.02.2016). => Le journal Le Temps dans l’offre PressReader des BM. «L’auteur imagine le «projet Gorski», soit un groupe utopiste formé autour de Mihail Gorski, gourou de la décroissance. Son but: débusquer le moment précis où l’homme a fait fausse route et y retourner par un abandon progressif des technologies. Guillaume Rihs porte un regard mi-ironique mi-bienveillant sur ce projet: «J’enseigne l’Histoire, et les changements induits par l’ère industrielle amènent forcément leur lot de réflexion. On entend beaucoup le cliché du «c’était mieux avant», et ça m’amusait d’imaginer un projet cherchant à définir l’instant clé de la dégradation.» («Huis clos à dix-huit dans une coloc aux Eaux-Vives», par Marianne Grosjean, Tribune de Genève, 09.01.2016) Prix des écrivains genevois 2014, 2e prix ADELF-AMOPA de la première œuvre littéraire francophone 2016. => Le livre dans les collections des BM. L’auteur_ Guillaume Rihs, né le 6 février 1984 à Genève, est un écrivain suisse romand. (…) [I]l travaille comme enseignant d’histoire et d’anglais au collège Sismondi et au collège pour adulte Alice-Rivaz. En 2014, il reçoit le prix des écrivains genevois pour son manuscrit Aujourd’hui dans le désordre. Son roman paraît le 11 janvier 2016 aux Éditions Kero à Paris.» (Wikipédia) L’extrait choisi_ «La nuit du 19 au 20 janvier 2018 au parc La Grange, qui est longé à l’est par le parc des Eaux-Vives, au nord par le lac Léman, au sud par la route de Frontenex et (c’est en cela qu’il nous intéresse) à l’ouest par l’avenue William-Favre, la neige est compacte comme du beurre et tombe à profusion. Les flocons se rencontrent en vol et se bousculent, s’amalgament et forment des paquets qui accélèrent et qui s’écrasent puissamment, puissamment à l’échelle d’un flocon, contre ceux qui les ont précédés, se tassent avec eux et petit à petit font que d’un mètre, la neige se porte à trois. La nuit du 19 au 20 janvier 2018, il tombe deux mètres en une seule nuit, c’est rare. C’est du jamais vu ! Il n’y a plus une voiture en ville, plus un arrêt de bus, plus un trottoir et plus une route. Il n’y a plus de bouche d’incendie, ni de possibilité d’incendie, seulement cette pâte épaisse qui recouvre tout. Au parc La Grange, on ne distingue plus les tilleuls des chênes. J’entends, ceux qui d’habitude les distinguent, s’ils étaient présents, ne les distingueraient pas, et de toute manière il n’y a personne pour s’y essayer. Personne pour écouter les flocons et l’air vif. Personne pour sentir l’odeur gelée portée par la bise. Le restaurant est fermé, ainsi que la buvette, et je ne parle pas des théâtres. Rien n’ouvrira demain. Demain à l’aube, le parc La Grange ne sera plus. Sous trois mètres de neige, il se sera absenté. Ce qui l’aura remplacé sera d’une très grande beauté, visible depuis le bow-window du salon ou la cuisine au quatrième étage de l’avenue William-Favre, une immensité d’écume de glace.»

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