La Grange, un parc qui se mange
Les parcs genevois ont eu autrefois une vocation nourricière, qui se perpétue sous la forme de la cueillette sauvage…
Parfois, ce parc se mange. C’était le cas lorsqu’il était un domaine appartenait aux familles Lullin, puis Favre, qui y faisaient planter, grosso modo, tout ce qu’elles mangeaient. C’est à nouveau le cas pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque, sous le nom de code « plan Wahlen »*, la Confédération lance un programme d’autosuffisance alimentaire qui pousse à faire pousser des comestibles un peu partout. Ainsi, selon ce qu’écrit le Journal de Genève du 18-19 août 1940,
« (…) a-t-on planté des tubercules au parc Bertrand, dans la partie supérieure du parc de la Grange et à Beaulieu. 40’000 kilos de pommes de terre ont déjà été récoltés, qui seront destinés aux oeuvres sociales et aux cuisines scolaires. On plante aussi des poireaux, en rangs serrés, puisqu’on a atteint hier le chiffre de 120’000. Voilà de bonnes soupes aux légumes en perspective! »
Aujourd’hui, le parc la Grange se mange encore. C’est ce que raconte un collaborateur du Service des espaces verts (SEVE) dans le livre Genève dans ses parcs – Les nouveaux usages des espaces verts, paru en 2013:
« Des gens viennent dans ces sous-bois pour l’ail des ours. Quand on les voit, on est quand même obligés de leur dire: Hé, ho, s’il vous plaît, ce n’est pas pour emporter… Sans compter le problème du colchique, qui lui ressemble beaucoup. Un petit bout dans un pesto, effet mortel garanti. »
(*) « Bonus texte » pour en lire davantage – un article du Journal de Genève du 12.08.1943 (signé Jean Uhler), présentant « Ce que la Ville a réalisé dans le domaine du plan Wahlen »:
« (…) grâce aux efforts de M. Bois, chef du Service des parcs et promenades, les cultures qui sont faites n’entraînent aucune mutilation des splendides propriétés, les arbres vénérables, les essences recherchées ne disparaissent pas. Le guerre finie, lorsque la vie économique aura repris son cours normal, de beaux gazons et des corbeilles de fleurs remplaceront les champs de pommes de terre, de carottes, de navets, de maïs, etc.
C’était avec plaisir que, mercredi après-midi, nous avons répondu à l’aimable invitation de M. le conseiller administratif F. Cottier, qui nous conviait à visiter les cultures maraîchères de la ville. (…) Si Genève, dès 1939, a été la première des villes suisses à entreprendre des cultures maraîchères, elle est aujourd’hui celle dont les surfaces agricoles sont les plus étendues.
Les cars qui devaient nous conduire d’un parc à l’autre, partis de la place de Cornavin, firent une première halte à la campagne Beaulieu. C’est là que sont concentrés tous les services qui dépendent de l’Office communal des cultures, rattachés au Service des parcs et promenades. Nous pûmes visiter l’installation de séchage des fruits et légumes (…) Dans le domaine social, la Ville pourra distribuer de très grandes quantités de fruits et légumes à des prix réduits (environ 50% du tarif officiel) aux personnes et familles dans la gêne, ainsi qu’aux cuisines scolaires, crèches, colonies de vacances, etc.
Nous quittons Beaulieu et ses cèdres plantés en 1726 pour gagner la campagne Trembley. Les cultures sont splendides et déjà un grand champ récolté est retourné par une charrue actionnée par un gazogène.
Nous voici à Châtelaine, sur un terrain qui, de la route cantonale, s’étend jusqu’à l’Usine à gaz.
Ici le travail est un peu spécial. C’est là qu’au moyen de couches sont préparés les plantons, et c’est là aussi que l’on procède à des essais. Il y a quelques arbres fruitiers dont les produits sont de toute première qualité. II y a aussi des “meurons” et dame, par la chaleur d’hier, dignes descendants de nos pères de 1602, nous en avons quelque peu “picoré”.
Puis, par le pont Butin, nous arrivons au coteau de St-Georges en longeant le cimetière. Nous avons pu constater que, partout où cela était possible, on a utilisé les places vides pour la culture maraîchère.
Et nous voici au terrain du Bout-du-Monde, où l’ancien terrain des sports a fait place à des cultures variées et abondantes.
Nouvel arrêt au parc Bertrand, où nous sommes attendus par MM. Casaï et Anken, conseillers d’Etat. Le grand champ qui, l’an dernier, avait produit des centaines de kilos de pommes de terre, avait été semé cette année de pavots afin d’augmenter notre production indigène d’huile. La récolte a été faite et l’on s’apprête déjà à semer du colza. (…).
Pour terminer cette balade à travers nos promenades, nous voici à La Grange. Entre la route de Frontenex et la voie du chemin de fer. dans ce que l’on appelle le pré Favre, la Ville a fait cultiver des milliers de poireaux. Dans le parc, ce qui frappe nos yeux, et ne dépare nullement la propriété, c’est un immense champ de maïs. Une collation a suivi dans les coquets salons de La Grange, où des boissons fraîches furent fort appréciées. »