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Des tâches noires
ou brunes
d‘une taille
et dans une quantité
jugées alarmantes
apparaissent
sur le soleil
en juin 1816.
Des tâches
visibles à l’oeil nu
à condition de regarder
à travers des verres colorés
qui sont fabriqués,
vendus,
achetés
pour qu’on s’adonne
à un passe-temps
angoissant,
anxiogène,
mais à la mode
qui se répand en Europe
et en Amérique
en cette fin de printemps
et en ce début d’été,
d’il y a 204 ans.
Un passe-temps
qui consiste à repérer,
observer,
compter
ces taches,
à imaginer qu’elles expliquent
le climat planétaire
délétère
de cette année-là
– le froid,
la pluie,
les inondations,
les mauvaises récoltes,
les disettes et les famines –,
et à en déduire que le Soleil
est malade,
mourant,
bientôt éteint
à tout jamais
et qu’après ça
pour toujours
ce sera la nuit.
La rumeur
de cette apocalypse
par extinction du soleil
enfle
au point que
les gouvernements et
les rédactions des journaux
lancent des appels au calme,
fournissent des explications pour dire que
non,
la disparition prochaine
de toute forme de lumière
et de chaleur
sur Terre
ce n’est pas vrai.
À Bologne,
dit-on,
un astronome
ou,
selon d’autres sources,
un «prophète fou»,
a même donné une date:
extinction du Soleil
et fin du monde par conséquent
le 18 juillet.
On ne sait pas,
à vrai dire,
si la «prophétie de Bologne»,
comme on l’appelle,
a vraiment été prononcée,
ou si c’est juste
une pure rumeur
qui se propage
dans la presse européenne et américaine.
Il n’y en a
aucune trace directe,
dans tous les cas,
et le nom
de l’astronome prophète
n’est jamais mentionné.
Quoi qu’il en soit,
ce quidam présumé
aurait diagnostiqué les taches solaires
comme un symptôme annonçant
«une conflagration et la fin du monde»,
suite à quoi
il aurait été jeté en prison
à l’approche de la date fatidique
«par précaution».
Mais entre-temps,
un peu partout,
la psychose des taches solaires
a commencé à faire des vagues
Selon Gillen D'Arcy Wood,
auteur du livre L’année sans été. Tambora, 1816. Le volcan qui a changé le cours de l’histoire,
je cite:
«Pendant quinze jours, les églises belges se remplirent de pénitents silencieux priant pour leur salut. Le 12 juillet – un autre jour d’orage et de tempête –, les trois quarts des habitants de Gand (à ce qu’on dit), prenant la musique martiale d’un régiment de passage pour les trompettes du Jugement dernier, se précipitèrent hors de chez eux, poussant de longues “plaintes” et “se jetant à genoux”. Parallèlement, le 17 juillet, dans les rues de Paris, on pouvait se procurer un pamphlet promettant en gros caractères des “Détails sur la fin du monde !”.»
Fin de citation.
Ailleurs,
lit-on,
des gens se pendent,
ou abandonnent leurs affaires
pour se laisser sombrer entièrement
dans le découragement.
Dans la ville anglaise de Bath,
lit-on toujours,
une jeune fille réveille sa tante
en lui hurlant que c’est la fin du monde,
ce qui plonge la dame
dans le coma.
Bon.
Une rumeur,
comme vous le savez,
circule
toujours
en plusieurs variantes
et celle-ci ne fait pas exception.
Selon la Gazette de Lausanne,
qui,
en juillet 1816,
revient à plusieurs reprises
sur cette affaire de taches
et d’apocalypse,
selon la Gazette de Lausanne,
donc,
la prophétie annonce que
le monde «périrait par une pluie de feu»,
ou alors que
«un fragment du soleil s'en détachera le 18 juillet et condamnera notre globe».
La rédaction tient
toutefois
à rassurer ses lectrices
et ses lecteurs:
il s’agit là
écrit-elle,
de «prédictions ridicules».
Oui, «le soleil a des taches»,
mais «nous avons déjà historiquement démontré que ce phénomène n’offrait rien d'extraordinaire, et avait été fréquemment observé».
De plus,
calcule la Gazette,
si vraiment
un morceau de soleil
devait se détacher
et tomber sur nous,
son voyage prendrait
114 ans.
L’impact n’aurait donc lieu
qu’en 1930,
un futur
si lointain
qu’on s’en fiche.
Il faut dire,
à la décharge des terrorisé-e-s,
que l’époque qu’on vit alors
est particulièrement angoissante,
que la vie quotidienne est détraquée
par les retombées des guerres
qui viennent de s’achever,
par la météo atroce
de l’«Année sans été»
et par des récoltes
tellement rabougries
qu’on n’a pas assez à manger.
Alors comme aujourd’hui,
une peur peut donc
en cacher une autre.
Quoi qu’il en soit,
le 18 juillet passe,
le monde ne se termine pas,
et George Byron,
l’aîné de la petite bande de Britanniques
que nous avons vu débarquer à Sécheron,
George Byron,
donc,
confiné par le mauvais temps
dans une villa de Cologny
commence à écrire un poème appelé Les Ténèbres,
Darkness en V. O.,
qui a été interprété diversement
comme un reflet de l’ambiance du monde
ou comme le gémissement d’un grand déprimé.
Un poème qui raconte,
je cite,
«un rêve qui n’était pas tout-à-fait un rêve»,
dans lequel «l’astre brillant du jour était éteint»,
dans lequel les maisons et le mobiliser sont brûlés pour faire un peu de lumière,
dans lequel «les hommes se rassemblaient autour de leurs demeures enflammées pour s’entre-regarder encore une fois»
et dans lequel «heureux ceux qui habitaient sous l’oeil des volcans, et qu’éclairait la torche du cratère».
Je vous laisse ruminer un instant
ces poétiques joyeusetés
et je vous retrouve
près de la plage de l’ONU
sous la pergola,
juste là,
au bord de l’eau.
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