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«Au Luna-Park de Genève. — Ces jours derniers est arrivé de Rome au Luna-Park de Genève, tout pimpant, le plus joli petit nain du monde. Petit, certes! Il ne mesure pas plus de 60 centimètres et comme il a atteint 22 ans et demi, il a toute chance de conserver sa vie durant ce record de la «lilliputianité». Le baron Pouce — c’est son nom — est Italien. Avec ses 6 kilogrammes bien comptés, il fait figure de conquérant. Car, au rebours de tant de ses semblables, le baron Pouce a le corps bien proportionné et l’intelligence tout à fait normale. L’oeil assuré et vif, la cigarette aux doigts, il répond sans broncher à toutes les questions qu’on lui pose dans sa langue, et c’est d’un air agréable qu’il pose devant l’objectif des gracieuses visiteuses de Luna-Park.
Car c’est à Luna-Park, dans la Salle des fêtes ou par les vertes allées, que le microscopique phénomène va, quinze jours durant, faire la joie de tous les visiteurs de Luna-Park. On pourra le voir, gratuitement, lui serrer la menotte, lui parler, l’interroger sur tout… sauf sur ses amours! Car le baron Pouce est fiancé: il épousera prochainement Mlle Nouma-Hawa, une jeune beauté faite à sa taille.»
Voici ce que raconte
le 21 juin 1911
la Feuille d’avis de Ste-Croix et Journal du District de Grandson
en visitant le Luna-Park de Genève
dans le parc des Eaux-Vives.
On aimerait les voir,
ces photos,
prises par les «gracieuses visiteuses»,
du baron Pouce,
«le plus petit lilliputien connu»,
qui «parle italien et un peu anglais, et fume comme un sapeur barbu»,
comme le précise le Journal de Genève.
On trouve
à vrai dire
dans les greniers du Web
des cartes postales
en italien
montrant
«Il barone Pouce e suo figlio».
On trouve aussi
un article
paru deux ans plus tôt
dans le journal The Malta Herald
de l’île de Malte,
qui raconte qu’un cinéma exhibe
«un homme miniature»,
Baron Pouce,
47 ans,
90 centimètres,
et «son fils miniature»,
11 ans,
60 centimètres,
c’est-à-dire
précisément
la taille du baron Pouce de Genève.
Ce qui fait que
la détective en vous
s’éveille:
le baron Pouce de Genève
est-il donc
en vrai
son fils?
A-t-il 13 ans
en fait
et non 22 et demi?
Et à ce jeune âge
est-il sur le point
de se marier?
Parvenue ici
dans ses questions,
l’enquêteuse en vous
part
en quête d’infos
sur la fiancée présumée
du lilliputien.
Elle en trouve une:
une carte postale
montrant la «princesse Nouma Hawa»,
«la plus petite dame du monde»,
de passage à Zurich
avec le spectacle itinérant
Buffalo Bill’s Wild West,
mise en ligne
par le site d’archives anglais Wellcome Library,
qui signale que
la minuscule princesse,
née sous le nom de Mathilda Cajdos
en Roumanie,
est morte,
en fait,
en 1909.
Ses fiançailles
deux ans plus tard
avec le baron Pouce
relèvent donc
de la fake news.
Mais qu’importe.
Autour du baron
et de son identité un peu floue
se dressent
les attractions mécaniques
du Luna Park.
Voici,
à mi-pente entre le lac et le restaurant,
«le vertigineux “Cyclone canadien”»,
une montagne russe
longue de 1’000 mètres
«qui permet d'éprouver la sensation de la vitesse, car, à certains moments, l'allure atteint 85 kilomètres-heure».
Voici,
sur la gauche si on regarde le restaurant,
le Water-Chute,
un toboggan qui plonge dans une piscine.
Voici,
juste en-dessous,
les Vagues charmeuses,
qui «vous transportent en plein océan grâce à une machinerie spéciale».
Voici,
quelque part par là,
la Maison joyeuse,
qui est en fait une maison hantée,
et le Théâtre Tanagra,
«avec sa scène lilliputienne et ses véritables danseuses qui, grâce à un effet d'optique, apparaissent hautes de 20 centimètres»
qui est en fait une attraction basée
sur un quota de nudité.
Voici encore,
venues du circuit
déjà mondial
des divertissements électriques et mécaniques,
la Roue joyeuse,
le Taquineur,
le Zig Zag,
le Bumps,
l'American-Dip,
le Cake-Walk,
le Flip-Flap,
la Toy Wheel,
le Shooting Range,
le Coup de vent,
le Lac Vénitien avec ses gondoles,
les promenades à dos de chameaux
et l’Afrique mystérieuse,
un nouveau «zoo humain»,
dont je vous parlerai
si vous me suivez
quelques arbres plus loin.
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